L’épopée Lestorte – Chapitre 2/4 : un éleveur entreprenant

Il a eu la 1e automobile de sa région, le 1e poste de télévision, la 1e salle de traite pour ses vaches. Il emmenait ses chevaux pour gagner dans les années 30 les concours de l’ancêtre du Salon de l’Agriculture. Emile Lestorte était un visionnairte, dont on parle encore 50 ans après sa disparition.

La mémoire a pour principale faiblesse de se mêler aisément à la nostalgie qui bien souvent simplifie l’histoire avec une certaine élégance. Ainsi pour beaucoup d’observateurs actuels, en dehors de quelques aristocrates et industriels, l’éleveur de l’époque était un agriculteur coincé dans sa ruralité, aux techniques d’élevage rustiques, à l’ambition aussi mesurée que ses possibilités agricoles et financières. Cette image d’Épinal se vérifie dans certains cas. Elle ne saurait cependant occulter le brillant parcours des plus entreprenants d’entre eux. Ceux qui ont su démarquer et dont la volonté d’entreprendre à façonné la race.

 

Emile Lestorte avec Tanagra peu après son sevrage, sur les terres de Saint-Vincent aujourd’hui reprises par Thierry Dallalonga, créateur du Haras de Saint-Vincent.

 

Ils ont été de véritables locomotives pour l’Anglo-Arabe. D’une part parce qu’au-delà d’un certain effectif au sein d’un élevage la sélection (sélectionner c’est faire des choix et pour choisir il faut pouvoir comparer) et l’attractivité commerciale (plus de visibilité, offre plus large…) se trouvent très nettement amplifiées. D’autre part, et en conséquence du point précédent, du fait que les reproducteurs issus de tels élevages ont eu un impact considérablement positif sur le stud-book. Enfin parce que l’aura développée par de tel élevages a profité, au delà des apparences, à toute la filière locale. Emile Lestorte fut, si ce n’est le meilleur exemple, tout du moins l’un des plus brillants éleveurs que l’Anglo-Arabie ait connu.

Une exploitation agricole « modèle » :
 
L’élevage familial débuta en 1910. Marcelle Lestorte, fille d’Emile Lestorte, nous confiait récemment : « Mon grand père avait été dans les hussards (ndlr Philippe Lestorte) où il avait appris à monter à cheval. Il achetait et préparait des chevaux pour la remonte avec mon père. Ils se sont spécialisés dans les courses au moment de la mécanisation ».
 
De même elle poursuit : « Nous étions tous très passionnés mais mon père plus particulièrement. A l’époque où il vendait des chevaux pour la remonte il allait à Tarbes à pied (une trentaine de kilomètres). En 1938 il est monté à Paris au Concours Central Agricole (ndlr : l’ancêtre du salon de l’Agriculture) avec deux pouliches Arabes, Dragée et Dragonne, qui y ont toutes deux remportées le 1e Prix de leur catégorie. C’était un véritable périple. Il fallait marcher 10 kilomètres avec les chevaux jusqu’à la gare de Coaraze. De là s’en suivait un interminable transport en train. Il avait aussi amené des Pur sangs aux ventes à Paris. C’était tout a fait exceptionnel pour agriculteur Béarnais de l’époque ».
 
 
L’épouse d’Emile Lestorte : le cheval était une passion famillale.
 
 
Marcelle Lestorte nous précisait : « Mon père avait été à l’école jusqu’à l’âge de 12 ans. Mais c’était une personne très entreprenante. Aussi bien dans les chevaux que dans son exploitation agricole. Nous étions les premiers à avoir la télévision, une automobile et le téléphone dans la région ». Emile Lestorte est mort relativement jeune. Se sentant décliner il avait remanié son exploitation agricole afin qu’elle puisse continuer à fonctionner en son absence sous la direction de sa femme et sa fille épaulées par ses employés. C’est ainsi que la première salle de traite moderne fit son apparition en Béarn. Précurseur, Emile Lestorte avait fait faire des études pour alimenter le chauffage central de l’habitation à partir de fumier de cheval (principe de la méthanisation). Il avait aussi fait installer une éolienne et un groupe électrogène pour la lumière. Quarante ans avant la mode du développement durable (les premiers méthaniseurs à fumier de cheval devraient voir le jour à l’horizon 2014) !
 
 
Emile Lestorte au Concours Agricole Centrale à Paris, l’ancêtre du Salon de l’Agriculture. En 1938, monter à Paris depuis la campagne béarnaise avec des chevaux représentait une incroyable aventure.
 
 
L’exploitation agricole de la famille Lestorte était l’une des plus avancées de son temps dans la région. L’ensemble était très bien entretenu, très propre, au point que les agronomes en faisaient un exemple à suivre pour les cultivateurs des alentours. Une exigence et une modernité qui se retrouvaient dans l’élevage des chevaux. Plusieurs témoins ayant visité l’élevage dans les années 60 et 70 nous ont rapporté de manière concordante, la très grande attention portée aux poulains qui dormaient en box tout les soirs, la permanence des employés au moment des poulinages, la grande qualité de l’alimentation…
 
L’entente Goaille – Lestorte :
 
La famille Goaille a entrainé avec succès des chevaux de course dès l’entre deux guerres. Henri Goaille, son fils Roger Goaille, et son petit fils Jacques Goaille (et neveu du second) firent gagner leurs élèves de Pau (7 victoires dans le Grand Prix de Pau pour Roger Goaille en tant qu’entraineur) à Auteuil en passant par tout ce que le Sud Ouest compte d’hippodromes. Chez les Anglo-Arabes ils présidèrent au destin de véritables cracks comme Dan II, Le Correzien…

Jacques Goaille nous expliquait récemment : « Emile Lestorte était un éleveur très réputé, très connu. Une personne discrète, un vrai terrien mais aussi et surtout un grand vaillant. Les Lestorte travaillaient énormément. La réussite de l’élevage d’Emile Lestorte n’a rien du hasard. Sa très grande constance dans les résultats venait de sa science du croisement, de sa connaissance du cheval et surtout de sa remarquable manière d’élever ».
 
 
Henri Goaille, au centre, avec un chapeau
 
 
A ce sujet il précise : « Il était très en avance sur son temps. Ses poulains étaient très bien élevés, très bien manipulés. Il avait une manière très professionnelle d’élever. L’alimentation était très suivie, tout comme les soins vétérinaires et le maréchal ferrant. Il avait une grande connaissance chevaux, sa vie c’était les chevaux de course, sa passion, jour et nuit c’était le cheval de course. Son plaisir c’était de suivre et de transporter ses chevaux aux courses. Emile Lestorte y allait très souvent. Il s’était tissé un bon réseau dans le milieu hippique ». Enfin il ajoute : « C’était un vrai plaisir de travailler avec ce genre de personnes. Du travail en bonne intelligence. Il prenait des chevaux au repos. L’entente entre la famille Goaille et la famille Lestorte a duré des décennies ».
 
 
 
Marcelle Lestorte, la fille d’Emile Lestorte, avec Thalie, la propre soeur de Thalian.
 
 
Un passionné au carnet d’adresse impressionnant :

Emile Lestorte allait aussi souvent que possible aux courses, notamment à Pau, si bien que son carnet d’adresse s’en trouva considérablement amplifié. Chose tout a fait exceptionnelle pour un éleveur du Sud Ouest de l’époque, outre le fait d’avoir des chevaux aux ventes à Paris, Emile Lestorte avait plusieurs deux ans à l’entrainement à Maisons-Laffite et Chantilly. Ses bons rapports avec les entraineurs et son expertise reconnue lui permirent d’établir des relations commerciales bien au delà des frontières de l’hexagone. Ainsi Richard de Tarragon, entraineur Français installé au Venezuela dans les années 50, s’adressait à notre Béarnais au moment d’importer des poulinières et poulains vers son pays d’adoption !
 
 
Tamourette, un très beau modèle typique des produits de l’élevage Lestorte.
 
Car il faut bien le dire, la famille Lestorte n’a pas marqué que le stud-book Anglo-Arabe par sa production. De très bons pur-sangs sont nés à Saint Vincent et même des Arabes à jamais inscrits au panthéon de leur race.
 
Adrien CUGNASSE
 
Lire aussi :
Chapitre 1 : Sud-ouest, terre de passions
Chapitre 2 : un éleveur entreprenant

Chapitre 3 : des arabes, des pur-sang et des anglos

Chapitre 4: la souche "T" et les japonais